Considéré par certains comme le plus grand modernisateur d’Éthiopie, marquée par son empreinte culturelle, le négus Haïlé Sélassié, est aussi l’homme qui a laissé son peuple mourir de faim lors de plusieurs grandes famines. Déchu lors d’un coup d’État en 1974, l’histoire du dernier empereur d’Éthiopie a été jetée aux oubliettes durant des années… avant de revenir sur le devant de la scène en 2019. Nos reporters sont partis sur les traces de son héritage controversé.
“Roi des rois”, “Lion conquérant du royaume de Juda”, “Lumière du Monde”… Durant son règne les superlatifs ne manquaient pas pour désigner Haïlé Sélassié Ier, descendant, selon les légendes, de la reine de Saba et du roi Salomon. Aujourd’hui, 45 ans après sa mort, le négus est encore considéré par beaucoup comme l’un des plus grands modernisateurs d’Éthiopie.
A la tête du pays durant plus de quarante ans, Haïlé Sélassié s’est taillé une image anticolonialiste lors de sa victoire sur l’invasion mussolinienne de 1937. Alors bien aidé par la Grande-Bretagne, il a permis à son pays de conserver son indépendance. Bien qu’occupée militairement pendant cinq ans par les Italiens, l’Éthiopie est le seul pays africain à ne pas avoir été colonisé.
L’empereur a aussi marqué l’Éthiopie par ses réformes : on lui doit l’Université d’Addis Abeba, tout comme la création de la compagnie aérienne Ethiopian Airlines. Mais sa plus grande réalisation reste la construction dans la capitale du siège de l’Organisation de l’Unité Africaine, devenue l’Union Africaine. Haïlé Sélassié est considéré comme l’un des pères fondateurs de l’organisation panafricaine.
Mythe et côté sombre
Son aura s’étend même au-delà de l’Afrique. Le mouvement rastafari, né en Jamaïque, l’idolâtre, voyant en Haïlé Sélassié la réincarnation de Jésus-Christ. Dans son titre “War”, en 1976, le chanteur Bob Marley a d’ailleurs repris le discours du négus devant l’ONU, dénonçant les exactions des fascistes italiens.
Mais le dernier empereur d’Éthiopie a aussi une face sombre, que ne manque pas de dénoncer ses détracteurs. Il est l’homme des grandes famines de 1958, 1966 et 1973. Le souvenir de son fastueux anniversaire à 35 millions de dollars, alors que sa population mourrait de faim, a entaché sa mémoire. Son inaction a provoqué la mort de centaines de milliers de personnes, avant d’entraîner sa chute.
Chassé du pouvoir en 1974 par la junte marxiste-léniniste du Derg, dirigée par le colonel Mengistu, le négus décède peu de temps après dans des circonstances non élucidées, qui ne manquent pas d’alimenter sa légende.
Retour sur le devant de la scène
En 2019, la mémoire d’Haïlé Sélassié, jetée aux oubliettes par la dictature communiste, est revenue sur le devant de la scène. Une statue à son effigie a été inaugurée au sein du siège de l’Union Africaine, à Addis Abeba, afin de lui rendre hommage. Des honneurs lui ont aussi été rendus par le Premier ministre Abiy Ahmed, lors de l’ouverture au public de l’historique Palais Imperial, siège de tous les gouvernements depuis plus d’un siècle, dont l’entrée était jusqu’ici réservée aux élites. Quant à ses anciens appartements, en cours de rénovation grâce à des aides françaises, ils devraient, eux aussi, devenir bientôt accessibles.
Alors que l’empereur Haïlé Sélassié et sa politique ont plus que jamais divisé le pays au cours des 80 dernières années, le négus et ses multiples facettes continuent plus que jamais de fasciner, en Éthiopie, comme ailleurs.
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