« COMMENT LA CHINE ET LA RUSSIE EXPLOITENT LA CRISE SANITAIRE À DES FINS POLITIQUES ET GÉOPOLITIQUES : À la fois drame sanitaire et crise économique sans précédent, la pandémie de COVID-19 pourrait être un tournant historique dans les relations internationales. Il est clair qu’il n’y a pas de leadership américain dans la crise du coronavirus, la réaction de Washington a été extrêmement lente et celle de l’Europe inadaptée.
Les États-Unis et l’Europe sont d’abord occupés à se sauver eux-mêmes. Plus qu’une pandémie, on constate une addition d’épidémies nationales avec chacune sa dynamique et son calendrier propre. Dans ce contexte, la Chine et la Russie ont compris que cette crise est une occasion stratégique d’opérer un renversement historique des relations internationales. »
———————————-
1 – Coronavirus : la Chine accuse les Etats-Unis d’être à l’origine de la pandémie
Alors que les tensions étaient déjà fortes entre les deux pays, Pékin sous-entend que le Covid-19 serait d’abord apparu sur le territoire américain et non à Wuhan. Depuis le début de la crise sanitaire provoquée par le nouveau coronavirus (Covid-19), l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a une certitude : la pandémie a pris naissance sur un marché aux animaux à Wuhan, au centre-est de la Chine, entre la mi-novembre et début décembre. Mais cette hypothèse est maintenant remise en cause par le gouvernement chinois lui-même, qui relaie plusieurs interrogations et messages sur les réseaux sociaux et médias du monde entier : et si le Covid-19 venait finalement des Etats-Unis ?
Comme relevé par Libération dimanche, cette accusation s’appuie sur l’audition, le 12 mars dernier, devant la Chambre des représentants (équivalent de notre Assemblée nationale), de Robert Redfield, directeur des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC en version originale). Ce jour là, le patron de cette agence fédérale coiffant tout le système sanitaire américain reconnaît qu’en raison d’un nombre insuffisant de tests de dépistage, certaines personnes décédées du Covid-19 n’ont pu être identifiées comme telles. Leur décès aurait même été attribué à la grippe saisonnière.
Cette déclaration est notamment relayée par le porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois, Lijian Zhao, sur son compte Twitter, et tout s’emballe. « Le directeur des CDC reconnaît que des Américains déclarés morts de la grippe ont été testés positifs au nouveau coronavirus », affirme le diplomate chinois, estimant ainsi que des cas de Covid-19 auraient donc pu précéder les premiers cas en Chine. « De quand date le patient zéro aux Etats-Unis ? Combien de personnes ont été infectées ? […] Soyez transparents ! Les Etats-Unis nous doivent une explication », lance-t-il dans son message.
Pour étayer son accusation, la Chine se base, outre la déclaration du directeur des CDC, sur le fait que des décès attribués à la grippe saisonnière pourraient avoir été causés par le Covid-19 (sans même savoir quand). Mais aussi sur le fait que les Américains auraient pu apporter le Covid-19 avec eux directement à Wuhan lors des Jeux mondiaux militaires, à la fin du mois d’octobre 2019.
La Chine s’interroge par ailleurs sur la fermeture provisoire, en juillet dernier, de Fort Detrick, l’un des plus importants centres de recherche médicale militaire des Etats-Unis. Explication des Américains? Un souci sécuritaire à cause d’un manque de « systèmes suffisants pour décontaminer les eaux usées », comme expliqué par le New York Times. La théorie chinoise, elle, avance qu’une « série de cas de pneumonie ou des cas similaires » est apparue à la suite de cette fermeture, liant les deux faits sans aucune preuve. Depuis, le centre a rouvert ses portes et se consacre à la recherche d’un vaccin contre le Covid-19, comme le montre un reportage d’ABC.
Dernier argument de la Chine, un élément troublant à ses yeux : la tenue d’un événement (« Event 201 ») organisé par le centre de sécurité sanitaire John Hopkins, en partenariat avec le Forum économique mondial et la Fondation Bill et Melinda Gates. Réalisé le 18 octobre 2019 à New York, il a simulé l’arrivée d’une grave pandémie afin d’illustrer les besoins nécessaires pour faire face aux conséquences économiques et sociales à grande échelle.
Autant de facteurs qui, selon Pékin, prouveraient que les Américains pourraient être à l’origine du Covid-19. Ces sous-entendus et accusations interviennent dans un contexte tendu entre les deux nations, notamment autour de batailles commerciales. Un fort ressentiment se fait par ailleurs sentir au sein de la communauté chinoise outre-Atlantique envers le président Donald Trump et d’autres responsables politiques qui ne cessent de désigner le Covid-19 comme un « virus chinois ».
Source : www.leparisien.fr/ Par Sébastien Nieto/ 24 mars 2020/ Modifié le 25 mars 2020
———————————-
2 – COMMENT LA CHINE ET LA RUSSIE EXPLOITENT LA CRISE SANITAIRE À DES FINS POLITIQUES ET GÉOPOLITIQUES
À la fois drame sanitaire et crise économique sans précédent, la pandémie de COVID-19 pourrait être un tournant historique dans les relations internationales. Il est clair qu’il n’y a pas de leadership américain dans la crise du coronavirus, la réaction de Washington a été extrêmement lente et celle de l’Europe inadaptée. Les États-Unis et l’Europe sont d’abord occupés à se sauver eux-mêmes. Plus qu’une pandémie, on constate une addition d’épidémies nationales avec chacune sa dynamique et son calendrier propre. Dans ce contexte, la Chine et la Russie ont compris que cette crise est une occasion stratégique d’opérer un renversement historique des relations internationales.
La guerre commerciale pré-pandémie a donc laissé la place à une guerre de l’information, ou plutôt de la désinformation. Cette crise permet à la Chine mais aussi à la Russie, d’affaiblir le rôle de superpuissance américaine, de fragiliser la solidarité européenne, et ainsi de renforcer leur position sur la scène internationale. Les deux puissances ont ainsi déployé un important arsenal de mesures offensives destinées à influencer les opinions publiques en faveur de leurs intérêts. Pékin et le Kremlin tiennent les rênes de la propagande et des outils d’influence. Avec ces instruments, ils cherchent à entretenir et assurer leur légitimité nationale respective, et influencer les opinions publiques au niveau mondial.
_ L’offensive informationnelle chinoise
Alors qu’elle craint une nouvelle flambée épidémique , la Chine s’est lancée dans une campagne massive destinée à modifier au niveau mondial le récit et la perception de la crise liée à la pandémie de coronavirus. Cette campagne se joue sur le front de la guerre de l’information et vise le contrôle de l’opinion publique.
L’offensive chinoise s’appuie sur trois éléments de propagande : il existe des doutes sur les origines du virus, qui pourrait avoir été importé à Wuhan par des militaires américains, la Chine a démontré son efficacité dans la gestion de l’épidémie, et enfin les régimes démocratiques ont démontré leur incapacité à gérer cette crise.
L’idée selon laquelle le COVID-19 aurait été apporté par des Américains, lors d’une compétition sportive regroupant des soldats du monde entier, a été mise en avant par un officiel haut placé des Affaires étrangères à Pékin. Cette théorie peut paraître fantaisiste mais elle est une bonne stratégie de diversion qui permet de semer le doute sur l’origine du mal. Dans ce contexte, la Chine accentue la censure, nie l’origine épidémiologique du virus, et veut faire oublier ses manquements dans les premières semaines de la crise sanitaire. Elle tente de présenter sa gestion calamiteuse comme un modèle à travers sa propagande et passe donc d’une guerre sanitaire nationale à la guerre idéologique internationale.
La stratégie chinoise de manipulation de l’information est une dimension majeure de la guerre de l’information menée par la Chine. Le monde est invité à suivre leur exemple, notamment par un bouclage strict des régions les plus touchées. L’Italie a été la première à emboîter le pas, et aussi à demander l’aide « désintéressée » de la superpuissance. Le gouvernement chinois met tous les moyens à sa disposition pour balayer les critiques sur sa gestion de la crise sanitaire et redorer son image. Ce n’est pas sans rappeler la propagande du pouvoir soviétique après la catastrophe de Tchernobyl : censure et rétention d’informations au début, puis communications rassurantes avant de capitaliser sur l’expérience acquise.
Après une campagne diplomatique, la Chine a notamment usé massivement du réseau Twitter pour faire circuler sa propagande. En effet, bien que les citoyens chinois ne soient pas autorisés à utiliser ce réseau social, des comptes pro-Chine ont envahi la plate-forme pour défendre le régime communiste et attaquer les États-Unis.
Cette intensification de la guerre informationnelle vise initialement à détourner la colère des citoyens chinois loin du régime et à la diriger contre les États-Unis, puis à véhiculer l’image selon laquelle le Parti Communiste a contenu l’épidémie et enfin à semer la discorde à l’échelle internationale entre les USA et les pays Européens.
_ La Russie tente de profiter de la brèche
Dans le contexte pandémique actuel, la diffusion de fausse information n’est pas l’apanage exclusif de la Chine. En effet, le 22 février, des responsables américains ont affirmé, que sur plusieurs réseaux sociaux, des milliers de comptes liés à la Russie avaient participé à une « campagne de désinformation » en propageant des théories du complot au sujet de la pandémie. Mais les États-Unis ne sont pas les seuls à pointer la Russie. Tel est aussi le cas du Service Européen pour l’Action Extérieure, qui a rendu le 16 mars un rapport qui assure qu’une « importante campagne de désinformation des médias d’État russes et des médias pro-Kremlin concernant le COVID-19 est en cours. »
Pour Moscou, la priorité reste de contrôler l’espace informationnel russe, c’est-à-dire de faire en sorte que les voix critiquant la gestion par le gouvernement du coronavirus en Russie restent muselées. Ou du moins le plus possible, dans un contexte où l’entourage du président cherche à légitimer le maintien au pouvoir de celui-ci après 2024. En interne, le discours officiel russe relayé par la télévision d’État incarnée par Dmitri Kisselev, considéré par le Moscow Times comme le « propagandiste en chef du Kremlin », reprend le même propos que Dostoïevski dans son « Journal de Paris » sur une Europe « agonisante » que « seule la Russie sera en mesure de sauver ».
En parallèle, la Russie cherche à démontrer sa capacité de projection de puissance au sein de l’Union Européenne et à afficher sa générosité par l’envoi d’unités militaires et par la livraison d’équipements médicaux à l’Italie et ainsi entretenir l’idée d’une incapacité des dirigeants européens à juguler la crise. Les contenus de Russia Today France l’illustrent en continu.
La scénarisation de l’aide humanitaire envoyée à l’Italie s’est appuyée sur la diffusion en masse par les médias russes de deux séquences : d’une part, la réunion entre officiers italiens et russes dans l’un des QG de l’armée de Terre italienne à Rome, et d’autre part, la colonne de véhicules militaires russes faisant le trajet de Rome à Bergame.
Enfin, le gouvernement russe ne cache pas ses velléités de maîtrise de la crise par la technologie, mais surtout à des fins défensives : le développement d’IA et le lancement prochain d’un système permettant aux autorités de géolocaliser les individus entrés en contact avec des malades en utilisant leurs données mobiles. A l’instar de la Chine, le but de confrontation informationnelle russe est d’exacerber les tensions et d’affaiblir de l’intérieur les institutions des États-Unis et leurs alliances avec l’Europe. Mais aussi d’aggraver la crise de santé publique dans les pays occidentaux, en sapant la confiance du public, empêchant ainsi une réponse commune efficace à l’épidémie.
_ Un ADN « post »-communiste
Il y a plusieurs parallèles intéressants à faire entre les méthodes russes et chinoises. D’un côté, Moscou agit par mimétisme en cherchant à répliquer la gestion algorithmique des masses par Pékin. De l’autre, les décideurs russes signalent à leurs homologues chinois que la Russie compte dans ce type de crise désormais internationale.
Il y a aussi mimétisme du côté chinois en matière de guerre informationnelle. Comme la Russie, la Chine combine deux stratégies qui se complètent : la diplomatie publique classique et la dissémination de multiples récits sur le COVID-19 afin de semer la confusion à l’étranger par une alternance de rhétorique consensuelle et de propos outranciers. En matière de guerre informationnelle, l’action chinoise s’était jusque-là plutôt restreinte à son environnement régional immédiat. Or on constate maintenant une attitude décomplexée de la Chine sur ce terrain, sans doute en partie le fruit d’une fine observation des stratégies asymétriques déployées par la Russie au cours des dernières années.
_ La nécessité d’une riposte occidentale dans le domaine informationnel et cyber
Au début du mois de mars, le contraste était frappant entre l’attitude de Pékin et celle de Washington. Pendant que Donald Trump annonçait la fermeture des frontières des États-Unis aux voyageurs d’Europe, des avions chinois et russes débarquaient en Italie des conseillers et du matériel. Un contraste saisissant.
Curieusement l’envoi en janvier de 56 tonnes de matériel pour aider la Chine, à la demande de Pékin n’a eu qu’un faible écho dans la presse européenne. Cette assistance-là n’avait pas été filmée par les caméras chinoises, d’autant que la Chine avait expressément demandé de le faire discrètement afin de ne pas perdre la face. La Chine et la Russie, dont les opérations cybernétiques sont de plus en plus utilisées dans le but de soutenir des actions d’influence d’ordre informationnel, communiquent énormément afin de préserver leur système politiques nationaux respectifs, diviser l’Europe et fragiliser plus encore l’hégémonie américaine.
C’est une guerre d’images qui commence, et elle est vitale. Si l’occident veut défendre son système de valeurs démocratiques, il doit répondre avec force et surtout symboles, les milliards ne suffiront pas. Il faut des mesures solidaires et concrètes qui se doivent d’être appuyées par une communication offensive à la mesure de l’enjeu.
Mais il ne s’agit pas seulement d’une guerre d’images pour montrer que le monde occidental est solidaire sur la question du traitement de la pandémie. La Chine est à l’origine de cette pandémie et comme le précise Christian Harbulot dans une interview (1) sur le site de l’Ecole de Pensée de la Guerre Economique. Sa nocivité en tant que puissance devenue dangereuse pour l’humanité est un débat qui ne doit surtout pas être esquivé.
Note
(1) A écouter en ouvrant le lien à partir de google chrome.
Source : infoguerre.fr/ 2 Avril 2020/ Par Lucas Avatin
———————————
3 – COVID-19 : la fin du leadership américain ?
Dans la crise mondiale qui se déroule sous nos yeux, il est beaucoup plus question de la Chine que des États-Unis. Le virus est apparu dans la région de Wuhan et c’est là que l’épidémie a battu son plein au premier trimestre 2020. Tirée d’affaire pour l’instant, la Chine est désormais en mesure d’exporter du matériel médical dans le reste du monde, ce qui lui permet de se donner l’image d’une puissance efficace, altruiste et responsable.
L’épidémie fait désormais rage aux États-Unis et fournit une nouvelle occasion au président Trump de mettre en œuvre ses méthodes de gouvernement si particulières. Au cours de son briefing quotidien à la Maison-Blanche et dans ses tweets toujours aussi nombreux s’étalent ses propos décousus, entre accusations tous azimuts et mépris de l’expertise médicale.
Les États-Unis ont refusé de prendre la situation en main au niveau international, l’administration Trump privilégiant une réponse uniquement nationale. L’épidémie de COVID-19 confirme-t-elle la fin du leadership américain ?
_ Les États-Unis en repli
Washington a annoncé la fermeture des frontières avec l’Europe le 12 mars sans que les capitales européennes aient été prévenues. La réunion des ministres des Affaires étrangère du G7, tenue en visio-conférence le 25 mars, n’a pu diffuser un communiqué commun car le Secrétaire d’État Mike Pompeo exigeait l’emploi de l’expression « virus de Wuhan ». On est loin d’une puissance qui s’occuperait du monde, par exemple en partageant les connaissances scientifiques sur le sujet ou en coordonnant la répartition du matériel avec les autres pays.
Mais cette absence des États-Unis dans la gestion de la crise actuelle s’inscrit dans un mouvement de repli américain de plus long terme, et qui n’est pas sans justifications. La chute de l’Union soviétique en 1991 a provoqué aux États-Unis un moment d’hubris, entraînant des opérations militaires malavisées et une mondialisation aux conséquences néfastes (affaiblissement des classes moyennes, prédation de l’environnement, montée en puissance de la Chine).
Aujourd’hui, l’opinion publique américaine est fatiguée des guerres en Afghanistan et en Irak, qui durent depuis les années 2000 sans perspective de victoire. Les intellectuels et les responsables politiques expriment de plus en plus clairement leur méfiance à l’égard de la Chine, vue à la fois comme une puissance autoritaire vis-à-vis de sa propre population, et comme une puissance commerciale qui abuse des passe-droits que lui a accordés l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
À Washington, le débat sur l’avenir du système international et le rôle que les États-Unis doivent y jouer fait apparaître plusieurs courants. Les « déclinistes » prédisent l’avènement d’un monde post-américain dans lequel la Chine serait le nouvel hégémon, ou alternativement, le retour d’un monde westphalien, organisé en sphères d’influences plus ou moins étanches. Les optimistes qui pensent que les États-Unis ont encore les capacités de jouer un rôle positif dans le monde ne sont pas les plus nombreux…
_ Avec Biden, oui à l’ONU, non aux interventions militaires
L’élection présidentielle de novembre 2020 est-elle susceptible d’apporter un éclaircissement sur la direction que prendra le pays à l’issue de la pandémie ?
Si le candidat démocrate l’emporte, une réorientation de la politique étrangère américaine est à attendre. Joe Biden s’est en effet engagé à rétablir la présence des États-Unis en tant que « puissance stabilisatrice dans le monde ». En réalité, beaucoup dépendrait du Secrétaire d’État choisi par Biden. Les noms qui circulent pour ce poste sont ceux de John Kerry, déjà Secrétaire d’État lors du second mandat d’Obama et de Susan Rice, conseillère à la sécurité nationale d’Obama pendant la même période.
Ces choix très « obamiens » entraîneraient vraisemblablement un retour au multilatéralisme et au moralisme pratiqués par Obama et la majorité des présidents de l’après-1945, conjugué à une réticence marquée aux interventions militaires. La dégradation de la situation sécuritaire en Libye, au lendemain de l’intervention de 2011, et le refus d’agir en Syrie à l’été 2013 ont en effet marqué Kerry et Rice.
_ La panoplie de la puissance américaine
La réélection de Trump entraînerait en revanche la poursuite de sa politique étrangère nationaliste et égoïste jusqu’en 2024. Qu’elle s’installe en 2020 ou en 2024, la future présidence post-Trump aura la possibilité de redonner aux États-Unis un rôle de puissance responsable dans le monde. Face à la puissance chinoise, elle disposera de trois instruments différents :
La puissance militaire. Les Américains savent depuis Theodore Roosevelt et sa politique du big stick qu’une puissance ne peut rester écoutée et efficace si elle ne dispose de moyens d’actions militaires. La puissance militaire américaine reste pour l’instant très supérieure à celle des autres pays. Mais le déficit budgétaire abyssal des États-Unis va maintenir la tension sur le budget du Pentagone et l’écart avec la Chine pourrait se réduire à moyen terme.
La puissance financière et le droit américain. Tant que le dollar reste la principale monnaie de réserve, le droit américain s’applique de fait dans le monde entier. Les sanctions contre l’Iran, les embargos contre la Chine et la Russie entraînent des « sanctions secondaires » auxquelles sont soumises les entreprises européennes. C’est une arme dont l’efficacité contre les régimes autoritaires n’est pas certaine, mais dont le pouvoir de nuisance vis-à-vis de l’Europe est très forte. Or, son application n’est à aucun moment concertée ou négociée avec les alliés.
L’image. La culture populaire, la qualité des universités, la capacité d’innovation, mais aussi la tradition de liberté politique dessinent un soft power américain puissant, avec lequel la Chine pour l’instant ne peut rivaliser. Cette image américaine est cependant abîmée par l’érosion de la relation avec ses alliés : comment faire confiance à une nation qui brise ses engagements internationaux au gré de ses alternances politiques ?
La gestion nationaliste de la crise du coronavirus par l’administration Trump porte un coup supplémentaire au leadership américain dans le monde. Le président qui succèdera à Donald Trump fera sans doute le choix de redonner à son pays un rôle international important. Son administration disposera pour cela d’instruments puissants, mais la principale difficulté sera de rétablir une confiance durable avec les alliés traditionnels de Washington…
Source : www.ifri.org/ Chroniques américaines, avril 2020/ Laurence NARDON
https://www.ifri.org/fr/publications/editoriaux-de-lifri/chroniques-americaines/covid-19-fin-leadership-americain
———————————-
4 – Grandes manœuvres de coronavirus pour la Chine au Moyen-Orient
La crise sanitaire permet à la Chine de supplanter la Russie comme principal bénéficiaire du désengagement américain au Moyen-Orient. La Chine gardait jusqu’au début de cette année un profil relativement bas au Moyen-Orient, se concentrant sur les projets majeurs d’investissement de son « initiative de ceinture et de route » (de la Soie), désignée depuis 2013 sous son acronyme anglais de BRI.
La Chine laissait volontiers la Russie profiter en Syrie du désengagement des Etats-Unis dans la région, tout en accompagnant de son veto les vétos russes au Conseil de sécurité, paralysant ainsi l’action de l’ONU dans la crise syrienne. Mais la crise du coronavirus a amené la Chine à désormais se poser au Moyen-Orient en alternative à une puissance américaine incapable, à supposer qu’elle le souhaite, d’inspirer une mobilisation coordonnée contre la pandémie.
_ UNE ROUTE DE LA SOIE TRES POLITIQUE
La Chine est devenue en 2015 le premier importateur mondial de pétrole, avec 40% de ses approvisionnements en provenance du Moyen-Orient. Mais elle a veillé à diversifier ses fournisseurs, avec l’Arabie, l’Irak, Oman, l’Iran, Koweït et les Emirats, par ordre d’importance décroissante en 2018.
Elle n’a pas non plus voulu s’enfermer dans une alliance privilégiée, choisissant l’Arabie saoudite, l’Iran, les Emirats arabes unis et l’Egypte comme ses quatre partenaires principaux dans la région, et ce en dépit des tensions entre Téhéran, d’une part, Riyad et Abou Dhabi, d’autre part. Les investissements massifs de la Chine au Moyen-Orient, de l’ordre d’une centaine de milliards de dollars depuis le lancement de la BRI, sont particulièrement visibles dans les trois ports de Jizan en Arabie, de Port-Saïd en Egypte et de Duqm en Oman, tous trois adossés à d’importantes zones industrielles.
Cette stratégie de longue durée s’appuie sur le soutien résolu de Pékin à tous les régimes en place, y compris les plus autoritaires, quels que soient les différends qui les opposent entre eux. Une telle solidarité des dictatures a joué à plein dès le début de la crise du coronavirus, le président égyptien Sissi se distinguant par l’envoi d’une assistance médicale à la Chine frappée par la pandémie, tandis que le drapeau chinois était projeté sur des monuments emblématiques du Caire et de la vallée du Nil.
Cette mobilisation aux côtés de Pékin n’a pas faibli, même quand la diffusion du virus en Iran, de loin le pays le plus touché de la région, a pu être attribuée à la présence chinoise dans la ville sainte de Qom. Tout au contraire, la Chine s’est affichée en ferme allié de la République islamique dans la lutte contre la pandémie et a repris le discours de Téhéran sur la responsabilité des sanctions américaines dans le lourd bilan humain. Une seule fausse note est survenue lorsque le porte-parole du ministère iranien de la Santé a osé qualifier de « plaisanterie » les statistiques officielles de la Chine sur la pandémie, avant de se rétracter sous la pression des « durs » du régime, très liés à Pékin.
_ UNE PROPAGANDE DE COMBAT
La Chine n’a pas fait que mettre en scène son assistance face à la pandémie, avec les très médiatisées livraisons de cargaisons de masques, ce qui participe au fond de toute politique de rayonnement extérieur. Elle a aussi noué des coopérations opérationnelles d’une intensité nouvelle, par exemple avec le ministère israélien de la Défense, qui a transporté depuis la Chine, le mois dernier, onze avions spéciaux chargés de matériel médical (un chargement de trois millions de masques a, lui, été pris en charge par la fondation d’un milliardaire russo-israélien).
Mais Pékin accompagne dorénavant ses gestes d’un discours d’une rare agressivité à l’encontre des démocraties occidentales, accusées d’avoir failli face à la crise. Cette diplomatie du « loup combattant », à l’oeuvre dans le monde entier, est particulièrement virulente au Moyen-Orient, où les Etats-Unis sont la cible d’une campagne systématique de dénigrement, déclinée avec talent et méthode dans toutes les langues de la région.
Xi Jinping a tenu, le 30 avril, à appeler son homologue iranien, Hassan Rouhani, pour l’assurer de son entier soutien pour « remporter la victoire définitive contre la maladie ». Le président iranien, en retour, a salué avec emphase les « succès » de Pékin face au coronavirus. La Chine accuse désormais les Etats-Unis de tous les maux de l’Iran, laissant la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni tenter de sauver ce qui peut l’être de l’accord sur le nucléaire, pourtant de plus en plus rejeté par les « durs » de la République islamique.
Pékin ne craint plus de jouer sur le registre de la confrontation dans un Moyen-Orient où la rancoeur à l’encontre des Etats-Unis est générale, y compris en Arabie saoudite (Donald Trump a récemment menacé Mohammed ben Salman, le prince héritier et véritable « homme fort » du pays, de retirer toutes ses troupes d’Arabie si un accord sur le cours du pétrole n’était pas trouvé, une menace suivie d’effet, mais qui laissera des traces profondes dans la relation américano-saoudienne).
La Russie avait jusqu’à présent recueilli le plus grand profit du désengagement américain au Moyen-Orient, posant son soutien inconditionnel à Bachar al-Assad en gage de fidélité envers les régimes en place. Mais les luttes de pouvoir au sommet à Damas et l’incapacité de Moscou à stabiliser la Syrie ont terni l’étoile de Vladimir Poutine dans la région. L’effacement international de la Russie durant la crise du coronavirus permet à la Chine de s’engouffrer dans la brèche au Moyen-Orient et de donner à sa politique régionale, jusqu’alors très économique, une dimension militante qui est sans doute appelée à durer.
Source : www.lemonde.fr/ PUBLIÉ LE10 MAI 2020 PAR JEAN-PIERRE FILIU
———————————
Be the first to comment on "CRISE MONDIALE/ COVID-19/ RELATIONS INTERNATIONALES : enjeux et impacts stratégiques"